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Photo du rédacteurPaul Gagnon

Annulation des dettes publiques : plus compliqué qu’il n’y paraît…

Une tribune parue dans Le Monde ce 5 février et appelant à l’annulation des dettes publiques détenues par la BCE fait un certain de bruit. Cette tribune est une initiative d’un collectif de personnes issues principalement de l’Institut Rousseau et de l’université Paris-Nanterre et ayant reçu l’appui de nombreux signataires (économistes).


En gros, ce que propose le collectif, c’est que la BCE annule les dettes publiques (totalisant 2 500 milliards d’euros) émises par les Etats membres en réponse à la crise économique et sociale causée par la pandémie, dettes que la BCE a portées à son bilan en les rachetant sur le marché secondaire. En échange de cette annulation, les Etats s’engageraient à investir une somme équivalente à leur part respective de la dette ainsi annulée dans la « reconstruction écologique et sociale ».


L’objet de cet article n’est pas de juger la valeur intrinsèque de la proposition mais de souligner certains éléments relevant du contexte politique et socio-économique actuel à considérer pour se faire une idée de ses chances d'aboutir. Je ne dis pas que les membres de ce collectif n'ont pas pris ces éléments compte. En tout cas, le libellé de la tribune ne le laisse pas entrevoir. L’intention du collectif visait peut-être à simplement lancer ou provoquer le débat, avec l’espoir, dans un premier temps, de le voir s’ancrer dans le paysage politique.


Toujours est-il que la réaction de Christine Lagarde, dirigeante de la BCE, ne s’est pas faite attendre. Pour elle, c’est niet, justifiant cette fin de non-recevoir par le fait que les statuts juridiques de la BCE ne prévoient pas une telle mesure. En réalité, l’argument légaliste ne pèse pas bien lourd. D'une part, il est déjà arrivé à la BCE de sortir de son cadre juridique, par exemple lorsqu'est venu le temps de gérer les effets de la crise des subprimes. En outre, ce socle juridique peut être modifié sur simple volonté politique si les circonstances l'exigent.


Il faut cependant reconnaître qu'au sein de l'Europe, atteindre un accord politique et unanime, surtout sur les enjeux de gestion monétaire, est extrêmement compliqué. Qu'on se souvienne par exemple du clash entre pays du Nord et ceux du Sud, l'an dernier, lors des négociations entourant la mise en place du fonds de relance européen.

Il est donc important de se poser la question de savoir que penseront les Allemands et les Bataves de cette proposition du collectif ? Une annulation de dettes de la part de la BCE risque fort d'être perçue par ces pays comme une énième concession faite aux pays de cigales qui ne consentent pas les mêmes efforts qu'eux en matière de maîtrise des finances publiques. De fait, depuis sa création, l'Euro a toujours été la ligne de front de cette rencontre opposant deux conceptions différentes (irréconciliables ?) en matière de gestion monétaire et budgétaire. L'une protestante, l'autre latine. Deux cultures profondément distinctes et qui se frottent à l’intérieur d’une zone monétaire commune.


J'ai pris le temps d'examiner la liste des économistes ayant appuyé l’initiative du collectif par leur signature. J'ai compté 132 signataires issus de 13 pays européens (y compris la Suisse et le Royaume-Uni…). De ce groupe, il y a 47 économistes français, 24 espagnols, 22 italiens et 12 belges (francophones), pour un total de 105 signataires, soit 80% du contingent. Curieusement (ou pas), il n’y a aucun néerlandais parmi eux et le collectif n'a pu recruter que 7 signataires allemands, d'ailleurs plutôt ancrés à gauche. Ce résultat donne définitivement une teinte plutôt méridionale à l'initiative…


La tribune semble également reprocher à certains pays de ne pas avoir profité de l'apparition des taux négatifs en 2015 pour emprunter et investir. Je cite : « Beaucoup d’États ont réduit leur niveau d’endettement au lieu d’emprunter pour investir, malgré les taux négatifs. Pourquoi cela changerait-il ? Le pacte conclu entre les États et la BCE empêchera cette stratégie de fuite devant les responsabilités. » Examinons l’évolution de l’endettement des principaux pays de la zone Euro entre 2014 et 2019, exprimé en pourcentage du PIB (source Eurostat) :


Quelques observations intéressantes ressortent d’emblée de ce tableau : Sur la période, la France est le seul pays dont le poids de la dette par rapport au PIB a augmenté. Les 3 pays latins ont des taux d’endettement largement supérieurs à ceux des Pays-Bas et de l'Allemagne. L’ampleur de la diminution du poids de l’endettement de l’Allemagne et des Pays-Bas sur la période est pour le moins impressionnante par rapport aux autres.


Ceci étant, je m'interroge lorsque je lis le reproche fait par le collectif aux pays ayant fait le choix de réduire leur endettement plutôt que d’emprunter pour investir, malgré les taux négatifs, tout en ajoutant que le pacte conclu entre les États et la BCE empêchera cette stratégie de fuite devant les responsabilités. Réduire son endettement serait donc irresponsable? Certainement pas pour un allemand ou un néerlandais pour qui l'irresponsable serait plutôt celui qui se trouve à être le seul à augmenter le poids de son endettement. Par ailleurs, d'un point de vue purement tactique, je ne crois pas que prendre à rebrousse-poil ceux à qui ont soumet une initiative, et qui devront en être d'accord, ne soit très avisé. Et qui d'après vous a le plus d'influence au sein de la BCE? L'Allemagne ou la France? Realpolitik.


Dans mon précédent article, j'avais évoqué un rapport publié par la Deutsche Bank en septembre dernier et dans lequel ses stratégistes indiquaient que les 10 prochaines années pourraient être une décennie décisive ("a make or break decade") pour l'Europe faisant valoir que les probabilités de naviguer la crise avec succès pour celle-ci ont diminué car les divergences économiques entre pays membres vont probablement encore augmenter et causer davantage de points de stress une fois la pandémie réglée. Cela vient de la plus grande banque allemande et on peut donc supposer que ce point de vue est partagé par l'élite économique (et politique) du pays. Ceci expliquerait-il, du moins en partie, les efforts de désendettement de l'Allemagne (et des Pays-Bas) ?


Dans ce même ordre d'idée, et j’en terminerai là, il est nécessaire dans ce contexte de considérer cet élément important que sont les prochaines élections législatives de 2023 en Italie. Celles-ci pourraient s’avérer cruciales pour l’avenir de l’Euro, voire de l'Union. La situation est telle là-bas qu’on a dépêché Mario Draghi lui-même au centre de l’arène politique italienne, avec comme mission d’éviter la débâcle et une éventuelle sortie de l’Euro de l’Italie. Draghi a réussi ses premiers pas en obtenant l'appui d'une majorité de partis autour de l'idée d'un gouvernement d'union nationale...mais il reste encore beaucoup de temps d'ici 2023. On verra bien. En attendant, le collectif s'est peut-être trouvé un allié inespéré en Mario Draghi qui pourrait se saisir de cette occasion pour mieux positionner ses pièces sur l'échiquier politique italien. Réussira-t-il par contre à se défaire de ses anciens habits de banquiers et d'ex-numéro un de la BCE? Comment les allemands joueront la partie? Le dénouement de tout cela sera très intéressant à suivre.


Pour conclure, il ne fait pas de doute que la problématique du surendettement (public et privé) est réelle et sérieuse. Les solutions traditionnelles à un tel problème sont toutes douloureuses. "There's no free lunch". La situation actuelle est toutefois inédite pour deux raisons: a) les importants dégâts socio-économiques causés par la pandémie et b) le rôle clé joué par les Banques Centrales sur la scène économique depuis la crise des subprimes, lesquelles ont innové en créant des outils d'intervention nouveaux (QE et compagnie).


La proposition du collectif pourrait-elle s'ajouter à cet arsenal? Imaginons que oui. Le problème est qu'on efface une dette pour la remplacer par une autre d'un montant égal et destinée à être investie dans un programme de reconstruction écologique et sociale aux contours encore imprécis.


J'en viens finalement à me demander si le problème de fond ne serait pas ailleurs. Toutes ces initiatives, actuelles ou à venir, s'inscrivent dans le cadre du paradigme monétaire actuel qui a donné naissance à la création de la monnaie papier (ou monnaie dette) adossée sur rien d’autre que la confiance un 15 août 1971. Et si ce paradigme était arrivé en bout de piste? Et si la solution passait par la mise en place d'un nouveau cadre monétaire? Voilà une question qui doit certainement être débattue en très haut lieu autour de la planète. A suivre.

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